dimanche 2 novembre 2014

"POMPIER-PYROMANE"

\"POMPIER-PYROMANE\"
Journaliste spécialiste de l’Afrique, Francis Kpatindé estime que Blaise Compaoré a souvent été médiateur de crises qu’il a contribué à provoquer - Il l’assimile au "Kub Maggi", qui "était dans toutes les sauces" en Afrique*

Avec la chute de Blaise Compaoré, l’Afrique de l’Ouest perd le principal médiateur dans les crises de la région. Le journaliste Francis Kpatindé acquiesce, mais précise que le désormais ex-Président du Burkina était souvent appelé à éteindre des feux qu’il contribuait à allumer.
Au fil de ses 27 années à la tête du Burkina Faso, Blaise Compaoré a embelli. Et pour lustrer son image écornée par l’assassinat de Thomas Sankara, entre autres ignominies ayant jalonné son règne, il a fait plus que troquer l’uniforme militaire contre des costumes impeccables. Il s’est aussi taillé une réputation de médiateur des crises chroniques qui secouent l’Afrique de l’Ouest ; s’impliquant à fond dans leur résolution avec plus ou moins de succès. Mais ce qui est moins connu dans le personnage, c’est son côté pyromane. Lequel intervenait pour éteindre les incendies qu’il avait contribué à allumer.
Cette face cachée de Compaoré n’est pas un secret pour le journaliste et spécialiste de l’Afrique Francis Kpatindé. "Blaise Compaoré apparaît comme étant l’allié de l’Occident, le médiateur dans des crises sociopolitiques en Afrique : en Guinée, au Mali, en Côte d’Ivoire, même au Togo ; ça c’est l’image que certains veulent donner de ce personnage. Mais on oublie un peu trop vite que Blaise Compaoré a aussi un côté un peu pyromane", rappelle l’ancien journaliste de Jeune Afrique dans un entretien paru sur le site de RFI.
Kpatindé de rappeler le rôle de Compaoré dans la crise ivoirienne. Il dit : "C’est un secret de polichinelle que les combattants du MPCI (Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire, Ndlr), principal mouvement rebelle ivoirien rebaptisé par la suite Forces nouvelles, ont été entraînés et équipés par le Burkina Faso. La plupart des dirigeants des Forces nouvelles se sont, par la suite, installés avec pignon sur rue à Ouagadougou."
Dès lors, l'ex-homme fort du Faso devenait un acteur principal de la crise ivoirienne. "Laurent Gbagbo a fait le premier pas dans sa direction pour pouvoir l’associer. Il s’est dit qu’il fallait que le pyromane l’aide à éteindre le feu, martèle Francis Kpatindé. Il y a eu ce rapprochement entre Guillaume Soro et Gbagbo, et ils ont essayé de gouverner tant bien que mal grâce à l’action de Blaise Compaoré. Il a donc peut-être contribué à résoudre des problèmes internes à la Côte d’Ivoire, mais après avoir déstabilisé ce pays."
Autre polémique : le nord Mali. "Compaoré a joué d’abord un rôle capital dans la récupération des otages occidentaux et c’est pourquoi on lui passe tout, indique le journaliste spécialiste de l’Afrique. Mais il est évident que la plupart des rebelles touaregs étaient à Ouagadougou également. Il les accueillait, il les conseillait et après il les renvoyait sur le terrain."
Cette collusion avec l’ennemi avait poussé Ibrahim Boubacar Keïta, à son accession à la tête du Mali, "a demandé que Blaise Compaoré ne soit plus l’unique médiateur dans la crise".
"Kub Maggi"
Mais l’influence du désormais ex-Président du Burkina Faso ne s’arrêtait pas à l’Afrique de l’Ouest. Elle s’étendait à l’Afrique centrale. "Il est même intervenu en RDC. Il soutenait des opposants, il les amenait chez lui, il les formait et après il les renvoyait sur le terrain", indique l'ancien journaliste de JA. Qui rappelle que Compaoré était également "en Angola aux côtés de Jonas Savimbi" et impliqué dans la guerre en Sierra Leone avec son appui aux combattants du RUF (Front révolutionnaire uni), qui "avaient leur quartier général à Ouagadougou".
"Blaise Compaoré est comme le Kub Maggi en Afrique… Il était dans toutes les sauces", raille Francis Kpatindé.
Si elle pouvait être perçue comme un moyen pour Compaoré de faire oublier les crimes qu'on lui impute, cette débauche d'énergie comportait des enjeux plus importants. "Il y avait un intérêt politique évident pour montrer que sans lui rien ne pouvait se décider ni se régler en Afrique de l’Ouest, estime le journaliste spécialiste de l'Afrique. Il y avait aussi un intérêt géostratégique, passer son pays sous les spots et en faire un interlocuteur incontournable pour les pays occidentaux, les Américains et les Français. Et le dernier intérêt est purement financier. Quand vous avez un pays qui est désertique, où il n’y a rien, il faut trouver l’argent où il est. Donc il est permis de penser qu’il y avait des intérêts pécuniaires, dans les matières premières, les diamants, le café-cacao, l’or."
Tout cela est fini depuis jeudi dernier avec son éviction du pouvoir. Sauf extraordinaire, Blaise Compaoré devrait connaître le même sort que les nombreux chefs d'État africains ayant fini leur vie en exil. Par conséquent, la communauté internationale devrait pleurer un interlocuteur crédible dans la résolution des crises en Afrique subsaharienne. Mais, il ne manquera pas des voix pour lui souhaiter bon débarras pour la mémoire des martyrs de ses 27 ans de pouvoir et son double rôle de pyromane-pompier en Afrique.
ifall@seneplus.com

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