Dans le dernier jet des «Mémoires » de l’ancien
président de la République, Abdou Diouf, sud revient sur les rapports
entre Cheikh Fall, Pdg d’Air Afrique et Senghor. Le premier a confié à
Diouf qu’il a consulté un marabout qui lui a rassuré qu’il sera
président de la République et que pour «Senghor, c'est fini. Il faut le
savoir. Je te signale d'ailleurs [et c'est là qu'il m'a vraiment
surpris] que j'ai vu un grand marabout qui m'a dit avoir vu en rêve que
je serais le prochain président de la République du Sénégal». Dans la
même publication, Abdou Diouf parle de ses rapports avec le guide
religieux Cheikh Tidiane Sy et comment ce dernier l’a lâché, après avoir
créé le MSRA (Mouvement de soutien pour la réélection d'Abdou Diouf).
Par ailleurs, Diouf loue la loyauté de Jammeh dans la gestion du
dossier casamançais. Et parle aussi de ses rapports avec Dansokho,
Landing et Bathily. Abdou Diouf, contrairement à la légende, s’interroge
dans le livre sur les raisons de la démission de Kéba Mbaye. «Je n'ai
pas, jusqu'à ce jour, obtenu d'explication tangible. Pourquoi a-t-il
lâché la République au milieu du gué?», se demande-t-il. Le titre et les
intertitres sont de la Rédaction.
SENGHOR ET LE MARABOUT DE CHEIKH FALL
Je me souviens de la discussion que j’eus avec Cheikh Fall, à la veille des élections de 1973.
Pour rappel, au moment de ma nomination comme Premier ministre, nombreux
étaient ceux qui aspiraient à cette fonction, et parmi eux Cheikh Fall,
à l’époque président-directeur général d’Air Afrique, dont le siège
était à Abidjan. Après mon élection comme député (parce que la première
fois que j’étais Premier ministre j’étais non élu), Senghor m’a fait
savoir qu’il allait me reconduire comme Premier ministre, mais qu’avant
il souhaitait que j’appelle Cheikh Fall pour lui dire qu’il le voulait
dans le gouvernement comme ministre d’État chargé des Travaux publics,
des Transports et des Télécommunications. Il faut reconnaître que Cheikh
Fall avait réalisé un bon travail au niveau de la compagnie
multinationale -exemple réussi d’une bonne politique de coopération et
d’intégration régionale. On était fier de ce qu’il en avait fait.
J’appelai donc Cheikh Fall. Je pus ainsi mesurer toute sa rancœur envers
le président de la République: « Senghor se moque des gens 1. On en a
assez, il passe son temps à voler de continent en continent pour
chercher des doctorats honoris causa et met toute la puissance de l’État
au service de son prestige. »
Je lui répondis: «Cheikh, je ne suis pas de ton avis. Senghor dirige
quand même ce pays et il le fait bien. J’ai l’honneur d’être son Premier
ministre et je suis chargé de gouverner. Il définit la politique de la
nation, et moi je l’exécute avec le gouvernement. Je sais aussi qu‘il a
une grande confiance en toi.
-Abdou, me dit-il, Senghor, c’est fini. Il faut le savoir. Je te
signale d’ailleurs [et c’est là qu’il m’a vraiment surpris] que j’ai vu
un grand marabout qui m’a dit avoir vu en rêve que je serais le prochain
président de la République du Sénégal. Ce chef religieux a dit que,
pour Senghor, c’était bien fini. Dans quelques jours, tu vas voir qu’il
va commencer à boiter, et ce sera le début de la fin. Moi, je me
présente aux prochaines élections et je gagnerai. Le peuple a besoin de
moi, et puis les chefs religieux sont tous pour moi. Tout le monde, y
compris le khalife général des mourides, est avec moi. »
Je lui fis remarquer la gravité de ses propos, en lui rappelant que
le président Senghor avait confiance en moi et qu’il m’avait chargé de
l’appeler pour lui proposer de rejoindre son gouvernement. Je ne
comprenais pas sa réaction. «Je refuse cette proposition, me dit-il. Mon
ambition, tu la connais. »
Je me demandai alors comment présenter ce refus au président Senghor,
car je ne voulais pas qu’il pense que c’était moi qui avais des
réticences à mettre Cheikh Fall au gouvernement. J’appelai Jean Collin,
qui à l’époque était ministre de l’Intérieur, et je lui fis part de ma
perplexité après ma conversation avec Cheikh Fall, tout en lui
rapportant les propos de ce dernier.
«Ne vous en faites pas », me dit-il. Il téléphona alors à Mme Senghor
et lui raconta toute l’affaire. Cette dernière prévint à son tour son
époux. C’est ainsi que Senghor et moi n’eûmes jamais à en parler. Cheikh
développa son action jusqu’à la veille des élections. Mais, comme il
n’avait pas de parti politique pour porter sa candidature, il ne pouvait
pas, en vertu des dispositions constitutionnelles d’alors, se présenter
à l’élection présidentielle.
Après celle-ci, Senghor fit relever Cheikh Fall de son poste
d’administrateur du Sénégal à Air Afrique. De ce fait, il cessait d’en
être le président-directeur général. Il fut remplacé par un
administrateur désigné par la Côte d’Ivoire.
DANSOKHO, BATHILY, LANDING…
Dans les moments de crise, Dansokho venait me voir, souvent avec
Magatte Thiam, ou Sémou Pathé Gueye, ou Samba Diouldé Thiam, et tous me
donnaient des conseils. Dansokho est un homme animé d’un esprit très
positif. C’est pourquoi d’ailleurs il a dit, évoquant son séjour en
prison: «On nous a mis en prison en 1988, mais nous l’avions mérité
parce que nous avions fait des bêtises.» Il le dit honnêtement et il
sait de quoi il parle; les autres aussi.
En 1991, avant que je ne forme le gouvernement de majorité
présidentielle élargie, Dansokho a demandé à me voir. «Monsieur le
Président, je voudrais faire une tournée à travers le pays pour dénoncer
Abdoulaye Wade, parce que je veux que le pays sache qui il est. »
Je lui dis: «Mais vous étiez ensemble en 1988, vous avez travaillé ensemble contre moi, et vous venez me dire une telle chose ?
-Oui, oui! me répondit-il. Mais il y a beaucoup de choses que le pays
doit connaître sur lui, et moi, je veux faire une tournée pour le
dénoncer. »
Il est donc entré avec son camarade Magatte Thiam dans le
gouvernement de majorité présidentielle élargie. Mais j’ai finalement
réussi à le convaincre de renoncer à sa tournée. .
Quant à Abdoulaye Bathily, le chef de file de la Ligue démocratique,
j’avoue qu’avec lui aussi mes rapports restèrent fort bons, même si la
différence de nos visions politiques était patente. Il n’a pas toujours
été tendre avec moi, mais une certaine sympathie a toujours présidé à
nos échanges. Et puis j’aimais beaucoup son . beau-père, Samba Cor Sarr,
et cela créait un lien. Quand j’étais gouverneur du Sine-Saloum, Samba
Cor Sarr y était inspecteur régional de l’élevage et faisait partie des
hauts fonctionnaires de grande qualité qui m’entouraient. Donc, j’avais
une sympathie naturelle et ancienne pour Bathily. Au moment où il devait
passer maître de conférences à l’Université, Iba Der Thiam a voulu s’y
opposer en me disant qu’il n’était pas au niveau requis.
Bathily, ayant fait ses études en Angleterre, n’a pas eu son
troisième cycle comme dans le système français, mais sa thèse d’État a
quand même été soutenue à Dakar. Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais
Iba Der a demandé à ses agents de ne pas me transférer le projet de
décret pour le nommer maître de conférences. Finalement, c’est quand
j’ai demandé au recteur, Madani Sy, de trouver une solution qu’Iba Der a
compris qu’il ne pouvait pas aller contre la volonté du. président de
la République, et Bathily a donc pu être nommé. Le même problème s’est
d’ailleurs posé au niveau du conseil de l’Université quand Sémou Pathé
Guèye a soutenu sa thèse de doctorat. Une majorité de membres du conseil
de l’Université refusa sa nomination comme maître de conférences. Là
aussi, j’ai réclamé le projet de décret et je l’ai signé en accord avec
le recteur Souleymane Niang.
En 1988, la Ligue démocratique avait refusé de discuter avec moi;
c’est seulement après les élections de 1993 que Bathily a voulu me
rencontrer. Il a demandé une audience et je l’ai reçu la nuit au Palais.
Alors qu’il n’estimait pas le dialogue possible quelques années
auparavant, il est venu ce soir-là offrir spontanément sa collaboration,
dans l’intérêt national. Il entra au gouvernement pour diriger le
département de l’Environnement, tandis que son camarade Mamadou NDoye
s’occupait de l’Éducation de base.
Avec Landing Savané aussi, j’avoue que les relations n’ont jamais été
heurtées, même s’il n’a participé à aucun gouvernement de majorité
présidentielle élargie. En 1988, Landing n’était pas très proche de
Wade. J’ai pensé le nommer quand, en 1995, j’ai voulu à nouveau former
le gouvernement de majorité présidentielle élargie. Je l’ai alors appelé
et lui ai fait savoir que Wade aussi allait entrer dans le
gouvernement, et je lui ai demandé qui, de lui ou de Marie-Angélique,
son épouse et camarade de parti, voudrait y venir.
Il a dépassé la question en me disant: «Président, vous avez besoin
d’une opposition crédible. Vous ne pouvez pas mettre tout le monde dans
le gouvernement, sinon ce sera l’unanimisme à l’Assemblée nationale.» Je
n’ai pas insisté parce que son argument était pertinent.
DEMISSION DE KEBA MBAYE
Qu’on me permette un bref retour en arrière pour rappeler les faits
marquants ayant permis l’élaboration d’un Code électoral consensuel. En
1991, j’avais réuni tous les partis politiques autour du président Kéba
Mbaye pour l’élaboration de ce code. Grâce à sa science juridique et à
l‘appui d’autres juristes éminents comme Youssou Ndiaye, Ibou Diaité et
Kader Boye, grâce aussi à son sens pédagogique, à ses qualités de
négociateur et d’homme de synthèse, un projet de Code électoral fut
accepté par toutes les parties.
Le président Kéba Mbaye vint alors me présenter ce texte et m’en
exposer les grandes lignes. Je le félicitai, félicitai ses collègues
juristes ainsi que toute la classe politique. J’acceptai le projet de
code et décidai de le soumettre immédiatement à l’Assemblée nationale,
sans même y changer une virgule. Le code fut adopté à l’unanimité par
l’Assemblée nationale et promulgué par le chef de l’État. Les élections
de 1993 devaient quand même révéler une faille dans le système.
Dans l’enthousiasme général du consensus, on avait créé à la cour
d’appel une commission électorale qui devait proclamer les résultats. La
commission était placée sous la direction du premier président de la
cour d’appel, entouré de magistrats et de responsables des partis
politiques. Mais, malgré toutes nos précautions, la politique
politicienne reprit vite le dessus, les partis politiques ne songeant
qu’à leurs intérêts au détriment de l’intérêt national. Sans entrer dans
le détail, j’indiquerai simplement qu’il y eut un blocage total -et,
malgré tous les appels à la raison et à l’esprit des textes, les
résultats ne purent être proclamés par la commission en raison de
l’opposition systématique de certains représentants de partis
politiques. La cour d’appel décida alors de renvoyer le dossier au
Conseil constitutionnel, qui l’examina, mais ne trancha pas. Kéba Mbaye
m’appela alors pour me dire: « Monsieur le Président, j’ai étudié le
dossier et l’ai renvoyé à la cour d’appel avec des directives, mais moi,
je démissionne.» Devant mon étonnement, il ajouta: «Oui, oui, monsieur
le Président, je démissionne, et c’est irrévocable. »
Ce jour-là, j’avais terminé le Conseil des ministres assez tôt, à 11
heures, et j’appelai immédiatement le Premier ministre pour l’en
informer et lui dire qu’il fallait absolument qu’on trouve une solution.
Je fis appeler Youssou Ndiaye, premier président de la Cour de
cassation, à qui j’appris la nouvelle.
«Je suis abasourdi, me dit-il.
-Est-ce que tu veux être nommé président du Conseil constitutionnel,
Youssou? lui demandai-je alors. -Monsieur le Président de la République,
je suis à votre disposition, mettez-moi là où vous voulez », me
répondit-il. C’est donc comme cela que Youssou Ndiaye est devenu
président du Conseil constitutionnel.
Je me pose toujours des questions sur les raisons de la démission de
Kéba. Je n’ai pas, jusqu’à ce jour, obtenu d’explication tangible.
Pourquoi a-t-il lâché la République au milieu du gué?
J’essaie de trouver des explications, mais la rumeur court selon
laquelle on lui aurait demandé des choses qu’il ne pouvait pas faire.
«Ce n’est pas le Président, aurait-il dit, mais quelqu’un de son
entourage qui a voulu faire pression sur moi.» Pour moi, cela n’a pas de
sens: je ne vois pas pour quelle raison on aurait fait pression sur lui
puisque, ces élections, je les avais gagnées.
Peut-être a-t-il voulu donner l’impression d’être un homme capable de
dire non et de résister au pouvoir? Le plus dur pour moi fut, après sa
démission, de voir les responsables de l’opposition aller vers lui et le
féliciter, comme si c’était vraiment un des leurs. Ça, je ne peux pas
le comprendre. Ou alors peut-être a-t-il reçu des menaces au point
d’avoir pris peur ... Je n’en sais rien, mais quand on connaît la suite
des événements, l’hypothèse est plausible.
Certains ont voulu romancer cette histoire et en faire une légende.
Ainsi, quand des troubles se sont produits à Médina Gounass, dans le
département de Vélingara, j’ai demandé qu’on les gère avec intelligence.
Il s’agissait de questions difficiles, à la fois politiques et
religieuses, à l’intérieur de la même localité. J’ai donc demandé au
ministre de l’Intérieur, Djibo Kâ, de dire au gouverneur de Kolda de
gérer ces problèmes avec un maximum de doigté. Mais, contre toute
attente, le gouverneur Pape Bécaye Seck a alors affirmé, devant témoins,
qu’il n’était pas là pour «recevoir des instructions ». «Kéba Mbaye a
bien fait d’ailleurs, a-t-il ajouté. Quand on a voulu lui imposer des
choses qu’il ne devait pas faire, il a refusé, c’est des exemples comme
ça qu’il faut suivre. » Lorsque cela m’a été répété, j’ai fait venir les
témoins, qui me l’ont confirmé. J’ai alors demandé à Djibo Kâ de le
convoquer pour lui demander à son tour la confirmation de ses propos, ce
qu’il a fait. Je l’ai donc relevé de ses fonctions. C’était moins pour
sanctionner une désobéissance que pour punir et fustiger un contresens
historique particulièrement grave.
Une autre fois, c’est sur RFI que j’ai entendu un journaliste
togolais, qu’Assane Diop recevait, tenir ces propos: « Vous savez, il
faut bien qu’il y ait en Afrique des gens comme Kéba Mbaye, puisque,
lorsqu’on a voulu lui imposer, disons, le point de vue du gouvernement,
il a refusé et a démissionné. » J’ai alors pris mon téléphone et appelé
Assane Diop. «Je ne fais pas de démenti, mais mettez les choses au point
puisqu’elles ne se sont pas passées comme ça. Je n’ai jamais donné
d’instructions à personne et il faut absolument rétablir la vérité. » Ce
fut fait, et de belle manière.
J’ai cessé ensuite de recevoir Kéba jusqu’au moment où on a mis en
place l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des
Affaires)
CHEIKH TIDIANE SY LACHE DIOUF POUR WADE
J'ai déjà parlé de mes excellents rapports avec tous les chefs
religieux sénégalais, musulmans comme catholiques, et avec toutes les
confréries. Je n'y reviens pas, sinon pour évoquer un cas particulier.
Celui de Cheikh Ahmet Tidiane Sy, avec qui j'entretenais des relations
privilégiées. Il me considérait comme son frère. Il m'a toujours soutenu
de toutes ses forces. Au demeurant, à l'occasion de l'élection
présidentielle de 1988, il avait créé ce mouvement de soutien à ma
candidature, le MSRA (Mouvement de soutien pour la réélection d'Abdou
Diouf). Je le recevais en audience tous les mois, non pas dans mon
bureau, mais dans mes appartements, dans mon salon, et nous passions
notre temps à parler de tout : philosophie, astronomie, métaphysique,
tradition, culture. Cheikh est vraiment un homme très agréable, très
cultivé, même si on ne peut pas être d'accord sur tout. Nous avions une
audience prévue en décembre 1992, mais j'ai eu un empêchement car je
devais aller en Arabie Saoudite pour une visite inopinée, et l'audience a
été reportée au mois de janvier. Mais à mon retour de Ryad, quand on a
voulu fixer l'audience, Cheikh a refusé les dates qu'on lui proposait,
prétextant un emploi du temps trop chargé.
La campagne électorale qui commençait en janvier fut donc lancée sans
que j'aie la moindre nouvelle de lui. Mais une nuit, alors que j'étais à
Saint-Louis, je me suis réveillé vers 4 heures du matin, et mon épouse
aussi. Je lui ai dit alors: «Élisabeth, je sens que Cheikh Tidiane Sy
m'a quitté parce que son silence m'inquiète. Dans mon sommeil, une chose
m'a traversé l'esprit: je crois qu'il m'a lâché. » Et ça n'a pas raté.
En effet, un ou deux jours après, son fils Moustapha Sy a entamé une
série de conférences pour me traîner dans la boue et m'insulter; c'était
la manœuvre. Et lui a attendu le dernier moment pour faire des
cassettes où il demandait à tous les tidianes de voter pour Abdoulaye
Wade. Il a fait dire à son frère Abdoulaye Aziz Sy Junior: «J'ai rompu
tout lien avec Abdou Diouf. Il faut soutenir Abdoulaye Wade." Je dois
rendre hommage à Junior puisque ce dernier lui a répondu: «Non, tu nous
avais dit de soutenir Abdou Diouf, et aujourd'hui tu nous demandes de
lui tourner le dos. Dis-moi ce qu'il t'a fait pour que tu n'aies plus
confiance en lui. » Cheikh lui a dit: «Fais simplement ce que je te dis
de faire. »
Il lui a alors répondu: «J'ai toujours fait ce que tu me demandais de
faire, mais cette fois je ne puis obtempérer. » Junior a donc refusé et
a lancé un appel en ma faveur.
DIOUF LOUE LA LOYAUTE DE JAMMEH
A propos de la Casamance, je dois du reste rendre hommage au
président de la Gambie, Yahya Jammeh, qui s'est montré extrêmement
coopératif dans la recherche d'une solution à la crise casamançaise,
contrairement à son prédécesseur, Daouda Diawara, qui n'a jamais joué le
jeu.
Le président Jammeh nous a apporté tout son appui, alors que, à sa
prise de pouvoir, l'opinion publique estimait plutôt qu'il fallait s'en
méfier, parce qu'il pouvait en sous-main aider les rebelles. Je sais que
cela n'a jamais été le cas et qu'au contraire il a toujours déclaré aux
rebelles casamançais: «Vous n'êtes pas dans le vrai.» Une fois même, à
une délégation partie le voir pour l'entretenir de sa volonté
d'indépendance, il aurait répondu: «C'est hors de question.» La
conversation m'a été rapportée par quelqu'un qui était dans la
délégation de rebelles. Jammeh nous a aidés à créer cette dynamique de
paix dont je parlais plus haut. Il a toujours été loyal avec moi,
contrairement à Diawara, qui, même s'il n'a pas été déloyal dans le
problème casamançais, n'a rien fait non plus pour m'aider à le
résoudre.
Un jour, je me souviens que Lansana Konté, le président de la
république de Guinée, à la fin d'une réunion de l'OMVG (Organisation
pour la mise en valeur du fleuve Gambie) qui s'était tenue à Conakry,
nous a dit avec son franc-parler habituel: «Maintenant on va parler
entre nous.' Diawara, Nino [Nino Vieira, de la Guinée-Bissau], vous ne
valez rien: vous n'aidez pas notre frère Abdou dans la solution de la
crise casamançaise. » Je suis intervenu pour souligner que le président
Nino m'apportait son aide dans cette crise,mais je n'ai rien dit à
propos de Diawara.
Donc, quand Yahya Jammeh a pris le pouvoir en renversant Diawara, de
bonnes âmes ont tenté de lui faire croire qu'il ne devait pas dormir sur
ses deux oreilles, car le Sénégal s'apprêtait à l'attaquer. Lorsque le
coup d'État s'est produit, la Gambie traversait une longue période
d'insécurité. Nous avions donc disposé des forces le long de la
frontière pour nous protéger de troubles éventuels, ce qui était la
moindre des précautions. Heureusement, le président Jammeh a très vite
compris que nous n'avions pas d'intention hostile à son égard. Je lui ai
moi-même téléphoné à ce sujet, et quand il est venu me rendre visite,
je l'ai accueilli en chef d'État. On a discuté, puis ce fut mon tour
d'aller lui rendre visite. Bref, nos relations étaient excellentes.
Malheureusement, et malgré son aide, nous ne sommes pas parvenus à
trouver une solution à la crise casamançaise, et les négociations ont
continué à piétiner.