Dans le premier numéro du trimestriel «Pouvoirs d’Afrique» de novembre, décembre et janvier, le chef de l’Etat ôte son masque et se confie à nos confrères dans une ambiance conviviale. Macky Sall parle de ses amitiés fondées sur l’intérêt et le pouvoir, de ses mémoires, de ses lectures et de ses amours. Il fait de croustillantes révélations sur ses convictions, parle de son objet fétiche, de son insulte favorite, des flagorneurs. Le chef de l’Etat reconnaît que le Président est un homme seul qui commet beaucoup d’erreurs. Voici quelques extraits…
Vous avez encore des amis, alors que vous
êtes président ?
Garder ses amis d’avant n’est pas facile ! Les fonctions
ont des amis. Je vous renvoie à un livre de Bernard Debré. Il était tout petit
quand son père était le Premier ministre du Général De Gaulle. Du monde se
bousculait dans la maison familiale. Avec des cadeaux, des boites de chocolat,
des fleurs. Et le téléphonait n’arrêtait pas de sonner. Sa mère lui expliquait
: «ton père est Premier ministre». Un jour, il rentre de l’école. Plus de
remue-ménage, plus de paquet, le téléphone qui ne sonne plus. Sa mère lui
explique : «voilà, ton père n’est plus rien !». Les amis étaient ceux de la
fonction.
Quelle est la dernière flagornerie qui vous a
fait rire ?
C’est irréel ; cela fait partie du jeu. Il serait mesquin
de s’en moquer et stupide d’en être dupe. Le pou- voir attire les flatteurs qui
essaient ainsi de retenir l’attention. L’autre jour, à New York, un militant de
mon parti m’a accueilli en lançant : «voici le grand Timonier !». Je me suis
dit : «le Grand Timonier ? Ça commence bien… ». Je respecte beaucoup cet homme.
C’est probablement un ancien maoïste. Il y avait de la tendresse et de la
nostalgie dans ce slogan incongru.
Comment se défendre de l’entourage qui fait
du zèle ?
En faisant le point. En gardant les yeux ouverts. En
ayant la tête froide. Celui-ci fait avancer les choses. Celui-là fait du zèle.
Le défaut qui vous est le plus pénible chez
les autres ?
La déloyauté, l’hypocrisie !
Mais la vie politique est faite de déloyauté, de
mensonges, de trahison !
Exact, mais il y a aussi beaucoup de loyauté. Des gens
qui s’engagent en politique et qui prennent la loyauté comme valeur cardinale,
cela existe.
A l’inverse, la faute pour laquelle vous avez
de l’indulgence ?
Je peux pardonner la faiblesse de ceux à qui il arrive de
profiter des situations. Leur cupidité ou leur incapacité à résister à la
tentation les mène à mentir et à trahir la confiance. Cela, je peux le
pardonner…
Comment dépensez-vous votre argent ?
Avec ceux qui m’entourent… En Afrique, nous avons une
autre relation avec l’argent qu’en Occident. Ce n’est pas spécifique au
président de la République. N’importe quel salarié vous le dira : son argent
doit servir sa famille ! Nous avons été éduqués comme cela. Moi-même étudiant,
je donnais la moitié de ma bourse à ma mère. Grandir ainsi vous habitue à
partager. L’ambition n’est pas de devenir milliardaire, mais de rendre utile,
d’aider autrui à régler ses problèmes.
La famille… Seuls les rois ont droit à une
famille. Les présidents ont une vie privée. C’est la règle non ?
C’était peut-être ainsi autrefois. Désormais c’est
l’inverse. Les rois n’ont plus de famille. Ma femme se trouve exposée. Elle est
visée. Elle est critiquée. Sa fondation caritative vient en aide aux plus
démunis. Ceux qui n’ont pas la possibilité de se faire soigner ou d’en- voyer
les enfants à l’école. Je vois les efforts inlassables qu’elle four- nit, mais
comme elle est proche du pouvoir, elle est critiquée.
Ecrire les «mémoires» de Macky Sall ?
C’est trop tôt pour écrire des mémoires. Mais il y a des
aventures que j’aimerais bien raconter et des repères à fixer. Sauf que tout
cela est récent. Il serait gênant de relater certains épisodes qui ne sont pas
forcément flatteurs pour des acteurs toujours en place.
Comparaison avec Wade qui a connu la prison…
J’ai connu les commissariats après avoir été interpellé,
pas plus. Je m’y étais préparé : j ai quand même fait onze ans d’opposition aux
socialistes au pouvoir. Je me suis engagé au combat politique auprès
d’Abdoulaye Wade. J’ai eu tous les honneurs avec lui. Puis, nous nous sommes
opposés et finalement, je l’ai battu. L’élève a battu le maître.
Votre modèle ?
Mandela
Un président qui vous inspire ?
Barack Obama
Une chanson ou un livre inoubliable ?
Une chanson d’Aznavour qui me rappelle ma jeunesse :
«Isabelle, mon amour». Comme les étudiants de ma génération, j’aimais reprendre
les mots d’Aznavour
Quand on regarde le Président, on voit un
homme très entouré…
Le paradoxe, c’est qu’en même temps, il est profondément
seul ! Seul à décider. Seul dans ses erreurs. On commet beaucoup d’erreurs.
Parce qu’il faut agir dans l’urgence. Avec le recul on réalise qu’on aurait pu
agir différemment
Un objet fétiche ?
Mon
téléphone Samsung Galaxy, peut-être ?
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