mardi 7 octobre 2014

GARE AUX MÉDIAS "PRÉDATEURS" !



Les groupes Le Témoin et Panafrican System Production ont fusionné pour devenir Global Media Communication (GMC). Un mariage de raison qui devra donner naissance à une entité multimédias : un quotidien (Le Témoin), deux radios (musicale et d’information), un hebdomadaire, un mensuel, un site web d’infos et une télévision. Il est même envisagé une société de production de contenus audiovisuels, de livres, de films, etc. Coût du projet : 800 millions de francs Cfa, hors volets télévision et production.
Dans cet entretien exclusif avec www.seneplus.com, Mamadou Oumar Ndiaye, Président-directeur général de GMC, livre les contours de cette fusion et avertit la concurrence : "Nous n’entendons pas nous laisser dévorer par" les grands groupes, notamment étrangers qu'il nomme "les prédateurs". Celui qui était jusque-là le directeur de publication du Témoin n’a pas manqué de revenir sur les temps forts de la marche de l’un des "Quatre mousquetaires" du paysage médiatique sénégalais, le quatuor d’hebdomadaires qui, dans les années 1990, a contribué à l’éclosion de la presse privée au Sénégal.
Les groupes Le Témoin et Panafrican system production ont décidé de s’unir pour former Global Media Communication (GMC). Un mariage de cœur ou de raison ?
On vit aujourd’hui un monde globalisé où l’avenir est aux grands groupes. A travers le monde, on assiste pratiquement chaque semaine, chaque mois, à des fusions de grandes entreprises ou à des rachats d’entreprises par d’autres, dans le cadre de la concentration capitaliste. Les entités les plus faibles sont appelées à disparaître. Par conséquent, pour se renforcer, il faut aller vers de grands ensembles. C’est valable au niveau des entreprises comme à l’échelle des pays, où on assiste à des regroupements sous régionaux ou régionaux.
Alors nous avons constaté, à notre détriment, qu’aujourd’hui les grands groupes de presse dominent le paysage médiatique sénégalais. Il s’agit de Futurs Médias, Excaf communication, Wal fadjri, D-Medias. En face, nous avions un seul hebdomadaire et une radio musicale. Donc autant dire que nous étions très faibles dans cette jungle qui est dominée par les géants.
On peut en dire de même pour Panafrican System Production qui est la société éditrice de l’hebdomadaire Nouvel Horizon et du mensuel Thiof. On s’est donc dit qu’il faut qu’on regroupe nos forces, sinon on va se faire écraser, enterrer. C’est ce constat de la faiblesse de nos deux structures qui nous a poussé à fusionner pour créer un groupe de presse dénommé Global Media communication.
Quels sont les organes nés de cette fusion ?
D’abord au moment de la fusion, l’existant, c’est l’hebdomadaire Le Témoin, la radio musicale Top FM (Groupe Le Témoin), l’hebdomadaire Nouvel Horizon et le mensuel Thiof (Panafrican System Production). Maintenant après la fusion, l’hebdomadaire Le Témoin va passer quotidien, à partir de lundi 29 septembre. Et nous allons lancer une deuxième radio qui sera cette fois-ci une radio généraliste. Elle fera de l’information, des magazines, des talk-shows, etc. Cette radio va démarrer avant la fin du mois d’octobre. Ce qui fait que le Groupe sera constitué d’une radio généraliste, d’une radio musicale, d’un quotidien, d’un hebdomadaire, d’un mensuel et d’un site web qui sera lancé probablement d’ici à la fin de l’année, en attendant le lancement d’une télévision dans le courant du premier semestre de 2015.
Quels sont l’organigramme et les moyens humains et financiers de GMC ?
Je suis le Président-directeur général du Groupe. Laye Bamba Diallo, qui dirigeait le groupe Panafrican Système production, en est le vice-président. Ensuite, il y a des directeurs de pôles. Le pôle presse écrite est dirigé par Momar Seyni Ndiaye, qui va coacher en même temps le quotidien Le Témoin. Le pôle radio va être dirigé par Dié Maty Fall, qui dirigera en même temps la radio généraliste- la radio musicale Top FM sera dirigée par Boubacar Bâ qui est un ancien de Nostalgie et de Sud FM. Nous avons, pour le moment, un programme d’investissement de 800 millions de francs CFA d’ici au premier semestre 2015. Mais pour le démarrage, rien que pour ce que nous avons déjà réalisé, nous en sommes déjà à peu près à 300 millions de francs CFA d’investissements. Et ça, c’est jusqu’au lancement de la deuxième radio généraliste et le site d’information. Evidemment, pour la télévision, il va sans dire que ça demande d’autres moyens financiers.
Quelle est la ligne éditoriale de GMC ?
Ce sera tout simplement une ligne d’information. Vraiment, on entend faire de l’information pure. Pas de people (en tout cas certainement pas du people tel qu’on le voit ici), pas de sensationnel, etc. Mais ce sera un journal d’information objectif, équilibré. Il n’y aura pas de parti pris, mais de l’info «balancée» qui ne sera ni pour le pouvoir, ni pour l’opposition.
En face, vous n’aurez pas que les grands groupes de presse sénégalais. Vous serez également en concurrence avec des groupes étrangers qui, de plus en plus, s’installent au Sénégal. C’est le cas de la BBC, par exemple. Comment appréhendez-vous cette situation concurrentielle ?
Absolument, il n’y a pas que les grands groupes sénégalais qui constituent, au fond, des menaces pour nous. Nous ne sommes pas des proies uniquement pour les groupes du pays. Les «rapaces», ce sont également les grands groupes étrangers. Par exemple actuellement dans le domaine de la radio et sur le créneau de la radio musicale destinée à la jeunesse, il y a un redoutable concurrent constitué par Vibe qui est la radio du groupe français Lagardère, un très grand groupe qui est venu avec beaucoup de moyens et qui entend s’imploser en Afrique. Je crois qu’à part le Sénégal, il entend s’implanter en Côte d’Ivoire, au Gabon, etc. Donc aujourd’hui, on assiste au retour des groupes français. Nostalgie aussi, qui émet déjà un peu partout en Afrique, va renforcer sa présence. D’autres groupes vont venir. Justement, cela rend plus pertinente notre décision de fusionner pour ne pas être dévoré par ces grands groupes. Nous n’entendons pas nous laisser dévorer par ces prédateurs étrangers.
Le Sénégal va basculer vers l’audiovisuel numérique à compter du 17 juin 2015. En décidant de lancer votre télévision dans le premier trimestre de 2015, vous serez obligés de vous réadapter. Serez-vous prêts ?
Je dois dire que pour le moment, aucune option n’est prise. Effectivement il y a quelques jours, j’ai déjeuné avec quelques amis. Je leur demandais s’il est pertinent d’avoir une télévision analogique qui basculerait 3 mois après au numérique, s’il faut attendre et passer directement au numérique. Mes interlocuteurs qui sont des professionnels de l’audiovisuel, m’ont dit que dans ce cas, il vaut mieux passer directement au numérique. Donc, on n’a encore arrêté aucun schéma. Mais je crois qu’on va directement vers une télévision numérique généraliste dans un premier temps. Mais étant donné que le numérique va offrir la possibilité de démultiplier les fréquences, on va ensuite étudier la possibilité de lancer des télévisions thématiques. Mais vraiment à ce niveau, rien n’est encore décidé une fois de plus. Parce que nous préférons d’abord travailler sur le quotidien qui doit démarrer lundi (29 septembre). C’est ça vraiment qui mobilise actuellement nos énergies et ensuite, c’est la radio qui doit démarrer le mois prochain. Pour la télé, c’est encore une perspective assez lointaine. On est en train certes de réfléchir, d’étudier les options.
Avec le passage à la périodicité quotidienne, où l’instantanéité prime, ne craignez-vous pas de perdre vos fidèles lecteurs, plus habitués au Témoin dans son format hebdo avec des articles de fond ?
Disons que dans la structure classique de l’information, traditionnellement, la radio donnait l’information, le quotidien revenait sur l’information, la développait et l’hebdomadaire approfondissait. Avec l’apparition des sites d’information, maintenant c’est de plus en plus les sites qui donnent l’information, la radio confirme et les quotidiens développent. Pour les hebdomadaires maintenant, il faut faire des enquêtes approfondies. Mais étant donné que nous changeons de périodicité, il va sans dire qu’on va s’inscrire dans le créneau de l'information et du développement. Les articles de fond qu’on avait dans l’hebdomadaire, on ne les aura plus a priori.
On est en train de réfléchir sur une solution médiane pour qu’on puisse plus tard avoir les articles de fond dans le quotidien, et qui seront le fait de grandes plumes. Donc à coté des articles factuels d’info, il y aura, plus tard, des articles d’analyse et de commentaire dans le quotidien Le Témoin. Ces articles de fond seront des regards extérieurs ou internes à la rédaction, mais décalés et donc qui prendraient du recul par rapport à l’information chaude, immédiate, etc. Cela permettrait aux nostalgiques de l’hebdomadaire d’y retrouver les articles de fond dont ils étaient friands. Je rappelle que notre fusion, c’est également un mariage de deux hebdomadaires. C’est-à-dire qu’il y a également les analystes de Nouvel Horizon qui sont de très bons analystes qui apporteront eux aussi leur regard décalé par rapport à l’actualité. Par conséquent, il y aura en réalité deux produits en un.
Le Témoin, c’est 25 ans d’histoire. Quelles sont les dates que vous retiendrez de cette expérience ?
Ça va être difficile à dire parce que vous me prenez au dépourvu. Mais disons en tout cas que Le Témoin a été créé en 1990. A l’époque, c’était le quatrième hebdomadaire privé du pays parce que nous avons trouvé sur le marché Wal fadjri Hebdo, qui était le premier hebdomadaire, Sud Hebdo puis Le Cafard Libéré, qui était justement dirigé par Laye Bamba Diallo. À l’époque, on nous appelait "Les Quatre Mousquetaires". Disons que Le Témoin, en tout cas, a marqué le paysage médiatique sénégalais de par ses révélations. Parce que c’était un hebdo d’information qui a surtout eu à lever beaucoup de lièvres dans le pays. Le Témoin s’est illustré dans la couverture du conflit casamançais en envoyant des reporters dans le maquis casamançais. Il a eu à se spécialiser également dans les faits de société, en mettant en avant les faits de société comme l’histoire du mbaraane (le fait pour les jeunes filles de sortir avec plusieurs hommes en même temps). Le Témoin avait également contribué à vulgariser une danse coquine qu’on appelait "khathie-bi". Il y a eu des interviews retentissantes comme celle de Maniang Kassé, qui est un travesti.
C’était nouveau à l’époque
Ces numéros avaient cartonné. Ils avaient choqué et, en même temps, eu un grand succès. Parce que c’était la première fois, par exemple, que Maniang Kassé, un travesti, acceptait de se livrer ouvertement. Et ça, c’était un grand coup. Egalement dans l’armée, Le Témoin a eu à faire souvent des révélations concernant des nominations alors que les gens ne sont même pas informés. Le Témoin, grâce à ses sources, parvenait à donner l’information. Alors que même au sein de l’armée, les gens ne sont pas encore au courant. Par exemple, Le Témoin leur apprenait que c’est tel qui va être promu chef d’Etat-major, c’est tel qui va diriger telle opération, etc. Autant de choses qui ont fait la renommée du journal. Il faut aussi souligner l’impertinence, l’irrévérence et l’anticonformisme, de notre hebdomadaire.
Cette liberté de ton vous a-t-elle valu des déboires ?
En effet, ça nous a valu beaucoup de procès en diffamation. Parce qu’à un moment de donné, les gens ont tenté de nous briser par des condamnations judiciaires, surtout des condamnations pécuniaires. Ce qui fait que moi-même j’ai comparu une trentaine de fois devant les tribunaux. Et je passe pour être pratiquement le recordman, vraiment, des procès en diffamation au Sénégal. Nous avons souvent été condamnés à payer 10 millions, 20 millions de dommages et intérêts. Mais la condamnation la plus lourde pour nous, c’était le paiement de 50 millions de francs CFA à feu Pierre Babacar Kama, qui était le PDG des ICS (Industries chimiques du Sénégal, Ndlr). C’était un grand seigneur : il a accepté de ne pas exécuter le jugement grâce d’ailleurs à une médiation entreprise de Laye Bamba Diallo. Sinon souvent, on a eu à payer les amendes auxquelles nous étions condamnés. Quelques fois, on a interjeté appel. Il est même arrivé qu’on aille jusqu’à la Cour suprême. Ce qui fait que souvent des condamnations ont été cassées tout simplement ou en tout cas, le montant des sommes à verser revu à la baisse.
Ces condamnations ont-elles retardé ou compromis votre développement ?
Ces condamnations nous ont coûté beaucoup d’argent et ça a même, à un moment donné, compromis notre plan d’investissement. Parce qu’à force de payer des amendes, nous n’avions plus les moyens de développer notre journal. Ce qui fait que quand les autres hebdos sont passés quotidien, il y peut-être plus de 20 ans, nous n’avons pas pu suivre. Ce qui nous a causé un retard de 20 ans au moins.
Avez-vous subi des représailles physiques ?
Un beau matin de 1997, si je ne m’abuse, vers 6h du matin, il y a eu une très forte explosion chez moi. Je me suis réveillé en sursaut. J’ai vu que les fenêtres du salon ont volé en éclats parce qu’on avait posé une bombe dans mon domicile. Jusqu’à présent, on n’a jamais pu savoir qui avait posé cet acte. L’enquête avait été confiée à la police d’abord. Ensuite à la gendarmerie. Mais on n’a jamais pu mettre la main sur le ou les auteur(s) de l’attentat.
C’est a priori en rapport avec vos écrits ?
Oui, c’était en rapport avec nos écrits. Il y en a qui ont dit que c’est en rapport avec un article qu’on avait fait sur la rébellion casamançaise. Mais toujours est-il que la rébellion casamançaise n’avait pas l’habitude d’évoluer aussi loin de ses bases. Elle n’a jamais opéré dans la région de Dakar. Donc à mon avis, il faut chercher les auteurs dans les rangs des personnes que nous dénoncions au niveau de l’Etat central ou dans la sphère économique. Toujours est-il que cette affaire m’a beaucoup traumatisé.
D’autres anecdotes ?
Une fois j’avais perdu un procès contre un fils de Bara Diouf, qui est l’ancien PDG du quotidien Le Soleil. Alors en exécution de ce jugement, on avait fait une procédure de défense à exécution provisoire. Malheureusement, notre avocat s’était absenté ce jour-là. Le tribunal a ordonné la continuation des poursuites. Alors un beau jour, un huissier s’est présenté chez moi avec des gendarmes, ils étaient venus exécuter le jugement. Ils ont ramassé tous les meubles. Absolument tout : le lit, les réfrigérateurs, les fauteuils, le téléviseur tout a été emporté. Je me suis retrouvé à dormir sur une natte posée à même le sol. Finalement, ce sont des amis qui ont dû me venir en aide. D’aucuns me donnaient un matelas à éponge, d’autres me donnaient un vieux lit, etc. Et ça a duré une dizaine de jours. Ensuite on a lancé une procédure qui a abouti finalement à la restitution des meubles. Ça également, évidemment, m’a beaucoup marqué.
Votre groupe de presse restera uniquement dans l’information ou allez-vous explorer des secteurs autres que les médias ?
Écoutez, on ne s’interdit rien. On se donne de très grandes ambitions. Tout ce qui peut contribuer à la consolidation de notre groupe, même en dehors de la presse classique, est susceptible de nous intéresser. Si on peut investir dans des domaines autres que la presse, nous le ferons. Nos ambitions sont grandes et notre seule limite, ce sera, soit les ressources financières soit les ressources humaines. Tant qu’on disposera des ressources financières et humaines, on ne s’interdit rien.
En tout cas au-delà de la presse, nous entendons être un leader dans ce que les Américains appellent l’Entertainment. C’est-à-dire le divertissement. Donc en dehors de la presse, tout court, on entend se lancer dans l’événementiel, dans la production audiovisuelle. Pas seulement la production d’informations, mais carrément dans la production audiovisuelle : réalisation de films, de documentaires, organisation de grands concerts internationaux, édition de livres et même réalisation de disques. Il y a des groupes qui ont déjà acquis des positions et des parts de marché et qui ont une assise, mais nous, nous entendons les bousculer pour être les leaders de l’Entertainment au Sénégal.
      source :seneplus.com       fatayodi@seneplus.com

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