mercredi 4 février 2015

Berlin: Interview avec Monsieur Souleymane Sokome, Juriste et politologue á propos de la situation politique actuelle du Sénégal



souleymaneSokome

M. Sokome, Me Abdoulaye Wade est de retour au Sénégal après plus de deux ans d’absence, qu’est ce que vous en pensez ?
Je pense que c´est un retour tout à fait normal puis qu´il revient sur sa terre natale où il a passé toute sa carrière politique. Il a été opposant politique pendant 26 ans avant de prendre les destinées du Sénégal de 2000 à 2012. Il a quitté pacifiquement le pouvoir en 2012 en donnant une belle leçon de démocratie au monde entier  au sortir d’un scrutin qui aurait pu a priori mettre le Sénégal à feu et à sang.
Abdoulaye Wade n´est pas aussi contraint à l´exil comme la plupart des Chefs d´États africains une fois qu´ils quittent le pouvoir pour éviter d´être poursuivis pénalement. Par contre, ce qui est regrettable c´est son comportement qui n’est pas digne d´un homme d´État respectable. Il ne débarque au Sénégal que pour des raisons politiques et en tant que défenseur de son fils.  Son retour au bercail est hautement politique. Les qualités d´un homme d´État à l´image de Nelson Mandela qui occupe désormais une place à part dans les annales de l´histoire des chefs d´États au pouvoir font cruellement défaut à Wade. Il doit éviter de froisser un certain nombre de consciences pour la stabilité politique du Sénégal même si l´on peut comprendre qu´un père ait de la compassion pour un fils en difficulté. Je vais vous raconter une petite histoire. En 2009 à la foire de Hanovre en Allemagne, l´ancien Chancelier allemand, Gerhard Schröder, qui a dirigé l´Allemagne de 1998 á 2005, était venu visiter la foire, je l’ai vu personnellement passer inaperçu devant les allemands. Et si vous voyez c´est grâce à Schröder que l´Allemagne est devenue ce qu´elle est aujourd´hui. Mais les allemands ont tourné la page  Schröder depuis 2005. Pourquoi donc chez nous en Afrique les anciens Présidents de la République continuent-ils de nous prendre en otage ? Il est plus important de se concerter ensemble tout en mobilisant les ressources humaines du pays sans exception et discrimination pour sortir le Sénégal du probléme de sous-développement que de passer á longueur de journée á bavarder ou á tenir des discours infructueux.
Est-ce qu’il ne risque pas de déstabiliser le Sénégal ou plutôt le régime de Macky Sall ?
Non je ne le pense pas car le Sénégal n´est pas un État fragile. Il est doté d´institutions fiables et la capacité des sénégalais à privilégier l´intérêt national au-delà des considérations partisanes constitue un atout considérable pour la stabilité de notre pays. Néanmoins, la présence de Wade au Sénégal peut mettre mal à l´aise le Président Macky Sall s´il y´a immixtion dans les affaires intérieures du pays avec la manipulation des médias. N´oublions pas que la presse et les médias sont le quatrième pouvoir dans une démocratie. Il existe entre les médias et la politique un rapport étroit. Il n´y a pas de vie politique sans opinion publique et pas d´opinion publique sans communication. Les médias peuvent être un facteur de déstabilisation que pourrait utiliser Abdoulaye Wade contre le Président Macky Sall. Les sénégalais doivent ouvrir les yeux face á la manipulation politique et médiatique. 
Que pensez-vous de l’emprisonnement de Karim Wade pour enrichissement illicite?
L´emprisonnement de Karim Wade est la conséquence du népotisme pratiqué dans plusieurs pays africains. Les dirigeants africains doivent éviter de mêler leurs proches, surtout les membres de leur propre famille dans la gestion des affaires de l´État. Je pense que l´incarcération de Karim Wade pour enrichissement supposé illicite devrait servir de leçon aux dirigeants africains qui pratiquent le népotisme qui est une injustice sociale. Que la justice sénégalaise le condamne ou l´acquitte, l´incarcération constitue un fait rare en Afrique. Seulement, il faut souligner qu´en Afrique, l´incohérence judiciaire, l´ignorance et l´émotion des populations constituent un vecteur de popularité d´hommes politiques corrompus, une fois incarcérés pour enrichissement illicite. Et Karim Wade ne fait pas exception. La justice doit faire correctement son travail en restant impartiale.
Que pensez-vous du duo Wade-Idy et d’une possible fusion entre le PDS, Rewmi et la coalition Bokk Gis Gis de Mr. Pape Diop ?
Le Sénégal a besoin d´une opposition forte pour la consolidation de sa démocratie mais aussi pour pousser le parti au pouvoir à mieux travailler. L´opposition est le cordon ombilical d´une démocratie moderne. Le rôle d’une opposition consiste à provoquer le débat et à obliger le gouvernement à s´exprimer. Politiquement parlant, le duo Wade-Idy ainsi que la coalition Bokk Gis de M. Diop ne pèse pas d´emblée plus fort que la coalition Benno Bokk Yaakar (BBY). Mais en politique rien n´est impossible et ce duo pourra basculer l´hégémonie politique du Président Macky Sall en cas de bilan mitigé pour se positionner. Macky Sall et son gouvernement sont dans l´obligation de répondre aux attentes des sénégalais. Désormais, aucune erreur ne sera pardonnée par les sénégalais dans la gestion des affaires du pays.
Que dîtes-vous de l’interdiction de meeting servie par le préfet de Dakar à M. Oumar Sarr du PDS ?
Selon l´article 10 de la Constitution sénégalaise « Chacun a le droit d´exprimer et de diffuser librement ses opinions par la parole, la plume, l´image, la marche pacifique, pourvu que l´exercice de ces droits ne porte atteinte ni à l´honneur et à la considération d´autrui, ni à l´ordre public ».
Juridiquement parlant cela signifie que le maintien de l´ordre public étant une nécessité pour l´exercice des libertés, il en découle que, dans certaines circonstances, les libertés peuvent être limitées pour sauvegarder l´ordre public. Autrement dit, en cas de menace à l´ordre public, une manifestation peut être interdite. Mais cette menace à l´ordre public doit être exceptionnellement grave. Il n´est pas de liberté possible dans une société oú les individus craignent pour la sécurité de leur personne. Du point de vue juridique certaines libertés peuvent faire l´objet de restrictions lorsque ces derniéres constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique ou á la défense de l´ordre. Il faut sauvegarder l´ordre public qui est une disposition harmonieuse des choses.
Dans ce contexte, le retour de Wade est purement politique et constitue aussi une menace à l´ordre public dans la mesure où le concerné a à maintes fois exprimé dans les médias son intention de « restaurer l´État de droit » au Sénégal en utilisant tous les moyens légaux pour combattre le régime en place et libérer son fils. Le meeting du Parti Démocratique sénégalais pour accueillir son fondateur Abdoulaye Wade n´est pas compatible juridiquement à l´article 10 de la Constitution vu les circonstances actuelles de l´état des choses. La décision du préfet de Dakar d´interdire un meeting d´accueil du PDS est juridiquement légitime. Maître Wade que je respecte beaucoup pouvait tranquillement se rendre au Sénégal sans tambour, ni trompette encore moins un meeting politique et rester un sage au service des futures générations.
 
Interview réalisée á Berlin par Abd El Kader Niang 

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